Bonjour Leonardo Marcos, ravi de vous revoir ! Puisque, si j’ai bien compris, ce n’est pas votre première collaboration avec Crédit Agricole CIB ?
Nous avons en effet collaboré sur plusieurs projets artistiques, notamment lors d’un événement au Palais de Tokyo, où j’ai réalisé une scénographie de poèmes visuels animés, en lien avec le déménagement de Crédit Agricole CIB. Par la suite, le projet est devenu une installation au sein de leur nouveau siège social. C’était une première de rendre possible une œuvre numérique in situ et pérenne ; un NFT avant l’heure, et surtout avant que cela devienne à la mode. C’est pourquoi j’apprécie tant de collaborer avec Crédit Agricole CIB et ses équipes, en particulier avec Anne Robert, qui a toujours une longueur d’avance, avec une vision très innovante qui stimule mes créations.
Vous êtes un artiste qui utilise le potentiel du digital, qu’est-ce qui vous anime dans ce dialogue entre arts “anciens” et “nouveaux” ?
Étrangement, je me réclame davantage de l’art classique que du contemporain. Je crois en la transmission des grands maîtres et à ce qu’ils nous ont apporté. Mais cela n’enlève rien de s’intéresser aux nouvelles technologies. Il faut être innovant dans la création. J’aime cette harmonie entre une esthétique venue de l’art classique et l’invention de nouveaux formats.
Votre œuvre fait souvent la part belle à la musique. Parlez-nous de ce lien entre images et sons.
Je pratique un art pluridisciplinaire, où la musique joue un rôle considérable. J’ai d’ailleurs commencé ma carrière artistique avec la musique, à travers mes rencontres, très jeune, avec Gainsbourg, puis Freddy Hausser, producteur et réalisateur des films sur les Rolling Stones, qui m’a fait entrer à la télévision, et surtout avec Guy Peellaert, artiste Pop Art célèbre pour sa pochette de Diamond Dogs de Bowie, avec qui j’ai fait ma première exposition. Aussi, lors de ma rencontre avec Philippe Constantin, président de Barclay, j’avais oublié d’apporter mes morceaux : du coup, je lui ai montré mes photos et films d’art. J’ai signé sur son label parce qu’il a aimé ma démarche de jeune étudiant, dont les créations s’inscrivaient dans un art total. J’ai envie de dire que mes images sont musicales et mes musiques visuelles.
Le chef étoilé Akrame Benallal a pour devise de “rendre l'éphémère inoubliable”. Que garderont en mémoire les spectateurs de ce soir ?
J’espère qu’ils conserveront le souvenir du potentiel intemporel et futuriste de Ravel. Comme David Bowie, c’est pour moi le compositeur le plus visionnaire des XXe et XXIe siècles.
Pourquoi avoir choisi le Boléro de Ravel ?
J’ai une histoire particulière avec Ravel. Mon père était facteur de piano et quand j’étais enfant, il m’emmenait écouter les cours qu’Henriette Faure dispensait chez elle à des concertistes ; elle qui fut l’élève de Ravel. Elle disait qu’il était très élégant, toujours bien habillé, dans de beaux costumes, affectionnant les belles choses. Cela m’a inspiré aussi… C’est peut-être pour cette raison que j’ai toujours aimé porter des costumes. Et puis, venant d’une famille espagnole, le Boléro était une musique qui me parlait.
Pour préparer cette soirée, on évoquait le cabinet de curiosité de Ravel, et ces petits objets du monde entier qui s’y trouvent, comme un patchwork dans une grande bonbonnière. Que trouverait-on dans le vôtre ?
J’ai également dans ma maison d’artiste un cabinet de curiosité, où l’on trouve notamment des poupées mangas très rares venues du Japon, un buste d’Alexandre le Grand, des playmobils en très grand format, une statuette en argent des années vingt, figurant une enfant qui joue avec un cerceau, et des ouvrages qui me sont précieux, comme une première édition originale de poèmes de Verlaine et un exemplaire papier du magazine Interview, fait main par Warhol.
À quoi ressemble la playlist idéale (classique et jazz) de Leonardo Marcos ?
Les Préludes de Chopin, par Alfred Cortot
J’ai le souvenir que nous parlions souvent avec passion des préludes de Chopin, Gainsbourg et moi. Il les a composés en grande partie à Majorque. J’adore cette île, en particulier ses lieux les plus isolés comme Deià. J’ai réalisé des photos dans les Baléares, mais aussi juste en face d’Ibiza, dont ma famille maternelle est originaire. J’adore la phrase de Cortot, évoquant ce compositeur à ses élèves : « il faut jouer Chopin, pas du piano ».
Les Nocturnes de Chopin, par Arthur Rubinstein
Le génie absolu des interprètes de Chopin.
Le Clavier bien tempéré de Bach, par Glenn Gould
Autre interprète de génie, mais cette fois-ci de Bach. Le plus grand des tous les compositeurs.
Miroirs de Ravel, par Henriette Faure
C’est ici un choix affectif, lié à mon enfance, quand Henriette Faure jouait Ravel et que je l’écoutais avec mon père, dans son salon. Ma madeleine de Proust.
Le Concerto pour la main gauche de Ravel, par Samson François
Ce concerto est un voyage dans le temps, les monde, les astres, et Samson François l’imprègne de son style de dandy décadent, tout dans « l’ivresse ».
Le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel (Adagio assai), par Krystian Zimerman
L’Adagio est une perle et Zimerman est le parfait interprète pour cette musique.
Les Leçons de ténèbres de Couperin, par William Christie & Les Arts Florissants
Je rêve de mettre en scène le rituel d’origine qui se pratiquait sur scène, où l’on soufflait sur des bougies jusqu’à plonger la salle dans le noir.
L’Amour sorcier de Falla, sous la direction de Rafael Frühbeck de Burgos
C’est le premier disque que j’ai entendu, enfant. Cette musique me faisait terriblement peur. Le film de Carlos Saura a parfaitement su lui rendre hommage, ainsi qu’à son chorégraphe, le danseur Antonio Gades, qui est le plus grand pour le flamenco. Je l’avais vu très jeune sur scène pour Noces de sang de Lorca et cela m’avait bouleversé.
La Nuit transfigurée de Schoenberg, sous la direction de Pierre Boulez
Cette composition musicale a parfois accompagné le film Vampyr de Dreyer. C’est une œuvre renversante et troublante par sa noirceur : une métaphore de l’emprise amoureuse.
La Cinquième Symphonie de Mahler, sous la direction de Bruno Walter
Walter a connu Mahler, et il est de loin celui qui dirigeait le mieux la musique de son maître. On y retrouve Vienne, mais aussi une dimension bucolique de la campagne autrichienne.
Les Suites pour violoncelle de Bach, par Pablo Casals
Pablo Casals commençait sa journée en jouant une suite de Bach ; et le dimanche, il choisissait d’interpréter celle qui lui venait à l’esprit, selon son humeur. Casals, exilé politique catalan, a incarné pour les républicains espagnols la résistance à Franco. On l’a découvert, jouant secrètement dans Collioure son hymne « le Chant des oiseaux », devant la tombe du poète Antonio Machado, mort en exil en passant la frontière à pied.
Le Concerto No. 3 de Rachmaninov, par Alexis Weissenberg sous la direction de Leonard Bernstein
Rachmaninov a l’âme slave, qui déborde de passions !
Le Quintette pour clarinette et cordes de Brahms, par Raphaël Sévère et le Quatuor Van Kuijk
J’ai découvert cette œuvre grâce à ma professeure de piano. Elle l’adorait. C’est une autre madeleine de Proust quand je l’écoute.
Les 17 Quatuors de Beethoven, par le Quatuor Hongrois
Ces œuvres pour cordes de Beethoven, composées sur une période de plus de vingt-cinq ans, préfigurent brillamment la musique contemporaine.
Siegfried Idyll de Wagner, sous la direction de Herbert von Karajan
Quel beau cadeau Wagner fit à son épouse, Cosima, en faisant venir secrètement des musiciens chez elle pour lui faire découvrir cette œuvre par surprise.
Le Concerto pour deux violons en ré mineur de Bach, par Yehudi Menuhin et David Oïstrakh
Deux fois Bach, avec deux génies du violon : que dire de plus ?
Across The Crystal Sea de Danilo Perez, sous la direction Claus Ogerman
Une perle inconnue d’une rare beauté. Ce n’est pas du jazz, c’est par-delà le jazz.