Entretien avec Hannah O'Neill

Entretien avec Hannah O'Neill

1/ Vous êtes venue danser à l’Opéra de Paris alors que vos parents sont Japonais et Néo-zélandais, pourquoi ce choix ?

C'est assez simple : c’est un rêve d'enfant depuis que je suis toute petite. J'ai commencé la danse au Japon, et là-bas, les représentations à Paris sont quelque chose de très spécial. L'opéra était un rêve car j'ai été témoin de cet engouement depuis mon enfance, en regardant des films de danse à la télévision et des enregistrements qu’une amie de ma mère me donnait, en particulier des interprétations originales comme celle de Cendrillon avec Sylvie Guillem et Charlie Jude. La danse est devenue indissociable de l'opéra. C'était plus qu'une simple expression artistique, c'était aussi les costumes, les ballets, un tout artistique. 

Par la suite, même si j’aurais pu choisir de faire carrière en Australie, j'ai toujours su que mon rêve ultime était de danser à l'Opéra de Paris. C'était comme si la décision avait déjà été prise depuis mon enfance. J'ai passé le concours externe, obtenu la troisième puis deuxième place, décroché deux fois des contrats à durée déterminée, avant d'être finalement engagée de manière permanente. 

2/ Quelles influences de votre éducation artistique en Asie/Océanie gardez-vous ici quand vous dansez ? 

La danse a toujours été un plaisir pour moi, elle est naturelle et enrichissante. Le fait que je vienne d’une famille très sportive a sûrement eu une influence sur mes choix, mais la danse a toujours été une passion.

Mon éducation artistique en Australie a été exceptionnelle. J'ai eu des professeurs influencés par la technique russe, des danseurs expérimentés, et même une enseignante chinoise qui nous a beaucoup poussés techniquement. La directrice de l'école, Marilyn Rowe, a également été une influence majeure, ayant travaillé avec Noureev. Elle m'a transmis son amour pour la danse, et inconsciemment, j'ai développé un goût pour le style de Noureev.

Arrivée à Paris, j'ai réalisé mon rêve en dansant à l'Opéra. Aujourd'hui, je chéris chaque moment passé à jouer et à danser et je suis très inspirée par mes coachs actuels. Il y a peut-être une petite pointe de nostalgie pour ce petit bout de moi qui aurait aimé être en studio avec Noureev, au moins une fois.

3/ Aujourd'hui, ressentez-vous une singularité dans votre style de danse au sein du Ballet de l'Opéra de Paris ? 

Quand je suis arrivée, je n'avais pas du tout la formation de l'école de danse et la technique française, donc ma danse était vraiment différente à ce moment-là. Aujourd'hui, je pense avoir préservé les enseignements et l'expérience que j'ai acquise à l'école, mais j'ai également réussi à intégrer efficacement les éléments propres au Ballet de l'Opéra de Paris.

L'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de venir à l'Opéra était de devenir une danseuse à l'image de ceux qui étaient déjà ici. J'ai observé attentivement, j'ai écouté attentivement les conseils des professeurs et j'ai beaucoup travaillé. Je ne voulais pas rester la touriste dans ce monde pour le reste de ma vie. Aujourd’hui, je pense avoir réussi à bien m'intégrer, du moins je l'espère, au sein de la compagnie de l'Opéra de Paris.

4/ En 2015, vous êtes rapidement montée en puissance au travers des différents rôles classiques que vous avez interprétés, comme Odette du Lac des cygnes, Paquita ou Gamzatti de La Bayadère ; évolution qui vous a d’ailleurs valu le prix de l’AROP cette même année. Quelle consécration ! Comment avez-vous vécu ce passage charnière dans votre carrière ?

C'était extrêmement encourageant pour moi, surtout étant une jeune danseuse à l'époque. Je n'avais pas encore eu l'occasion de m'illustrer dans de nombreux rôles, ni d'être fortement exposée. Recevoir le prix de l'AROP cette année-là a été une source de grande confiance pour moi. C'était un signe de reconnaissance non seulement du public de l'Opéra, mais aussi de la communauté de l'AROP et du monde du ballet.

Ce moment a marqué le début d'une sensation d'intégration profonde. C'était comme si j'avais été officiellement acceptée en tant que vraie danseuse au sein de cette institution prestigieuse. Bien sûr, je comprends que la valeur d'une danseuse ne se mesure pas uniquement à l'obtention de prix, mais pour moi qui venais de l'extérieur, c'était une expérience significative de me sentir ainsi acceptée et reconnue.

5/ Vous avez près de 50k d’abonnés sur Instagram, beaucoup de jeunes vous suivent, comment appréhendez-vous les réseaux sociaux et votre influence par rapport à votre métier ?

Les réseaux sociaux ne m’influencent pas dans ma danse ni dans mon quotidien artistique. C'est plutôt une plateforme où je partage des photos et de courts extraits avec mes abonnés, mais aussi ma famille et mes amis. Je ne dévoile pas tous les aspects de ma vie, en effet, il est crucial pour moi de préserver cette intimité dans mon travail. Ainsi, je choisis de ne pas tout partager, afin d'éviter que le public ait une vision tronquée de la danse. J’essaye surtout de capter et de partager des moments vivants.

C'est également un moyen pratique d'annoncer nos dates de représentation et c’est une facilité pour maintenir un échange avec le public, bien que je n'utilise pas les réseaux sociaux comme un outil. C’était très pratique pendant le Covid quand on ne pouvait pas danser en public.

Mais pour moi, la danse est quelque chose de très différent, le spectacle vivant offre une expérience unique qui ne peut pas être remplacée. 

Bien que les réseaux sociaux puissent être utilisés professionnellement pour être un peu plus exposé, je ne suis pas toujours convaincue de cette approche. Cependant, je vois cela comme un moyen bienveillant de partager avec le public, d'apporter un peu de plaisir à ceux qui ne peuvent pas toujours assister à des représentations en direct. 

6/ Vous êtes récemment devenue Étoile de l’Opéra de Paris, vous êtes une des rares danseuses à avoir reçu les trois plus prestigieuses récompenses internationales de danse, le prix Benois de la danse, Médaille d'or du Concours de Varna et Prix de Lausanne, c’est un peu l’accomplissement ultime de tous danseurs j’imagine, quelles sont vos motivations pour la suite et plus largement quel est votre rêve aujourd’hui ? 

Pour moi, là maintenant, c’est vraiment le bonheur. En réalité, le travail reste le même pour moi, l'exigence ne change pas du tout. Je suis convaincue par ma manière de travailler, et ma curiosité reste intacte, je reste ouverte à toutes les opportunités. Ce titre me permet un accès plus facile aux rôles que j'ai envie d'interpréter.

J'ai maintenant 30 ans, ce qui est encore jeune mais je ressens une forme de maturité. En regardant en arrière, je me rends compte que j'ai déjà accompli la moitié de ma carrière, mais en tant qu'Étoile, je regarde vers l'avenir la seconde partie et j'attends avec impatience cette nouvelle phase de ma vie.

Quant à mes motivations futures, il y a tellement de rôles que j'ai hâte d'aborder. Giselle est l'un d'eux, un rôle que j’aimerais vraiment danser, et je me sens prête. Cependant, il y a une multitude d'autres ballets que j'ai envie d'explorer, et j’ai aussi envie de rencontrer des chorégraphes. En somme, il y a une variété de défis et d'opportunités qui m'inspirent et me motivent pour la suite de ma carrière. J'ai hâte, en fait, j'ai hâte !

8/ Pouvez-vous décrire ce qui se passe dans votre esprit lorsque vous dansez, en particulier dans cet état d'entre-deux entre la technique et l’émotion ?

Chaque pas a une importance particulière pour moi. Cependant, je ne pense pas vraiment consciemment à chaque mouvement. Lorsque je danse, c'est toujours empreint de sentiment, de passion, ou d'une forme d'expression. Rien n'est fait de manière gratuite, cela dépend du contexte de la pièce que l’on interprète. 

Par exemple, dans une œuvre plus contemporaine où l'histoire n'est pas explicitement racontée, l'aspect physique devient plus important pour moi. Parfois, cela s'aligne avec la respiration du corps, l'amplitude, et le rythme de la musique, ce qui contribue à créer une certaine fluidité dans l'expression.

Lorsqu'on interprète un ballet narratif, l'histoire elle-même devient un guide puissant pour transmettre des émotions à travers la danse. En fin de compte, les pas qui peuvent sembler ordinaires prennent une signification particulière et deviennent naturels dans le contexte de la performance.

9/ Quel est votre rapport à la musique, à la fois dans votre formation, mais aussi dans votre quotidien ?  

La musique est d'une importance capitale pour moi, c'est une dimension essentielle de la beauté de la danse. La musicalité, pour moi, est une qualité fondamentale de chaque danseur et danseuse. J'apprécie énormément écouter de la musique, que ce soit dans le cadre de ma formation ou dans ma vie quotidienne.

Lorsque je prépare un ballet spécifique, je m'immerge souvent dans la musique qui l'accompagne. Par exemple, avant de danser dans le programme de Jérôme Robbins, j'ai écouté en boucle la musique de 'En Sol', ce qui m'a aussi permis de mieux comprendre l'importance de la musicalité. Le travail de Robbins a vraiment renforcé ma conviction que la danse doit chanter la musique avec le corps, créant ainsi une harmonie où le danseur n'est pas simplement dans la musique, mais fait partie intégrante de celle-ci. C'est l'une des choses les plus cruciales pour moi ; un danseur dénué de musicalité n’a pas vraiment de sens à mes yeux.

En ce qui concerne mes préférences musicales, j'apprécie une grande variété de genres. Cependant, je ne suis pas particulièrement fan de styles musicaux très violents comme le métal. Dans l'ensemble, ma relation avec la musique est éclectique, j'écoute de tout.

10/ Si vous pouviez prendre les traits d'un pas de danse, vous sauriez lequel et pourquoi ?

Ah, c'est amusant, je pourrais choisir quelque chose d'extrêmement expressif comme un grand jeté, car naturellement, j'ai un saut naturel haut. En même temps, je pourrais opter pour quelque chose de plus délicat, comme un petit saut de chat, car je suis une danseuse solide, mais en même temps, mon physique me permet de flotter un peu.

Certains jours, je me sentirais comme un grand jeté, et d'autres jours, peut-être plus comme un pas de chat. 

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Titre : Hannah O'Neill

Copyright : © James Bort / OnP